Discours du 27 janvier 1969 aux membres du Tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année judiciaire
de Paul VI
Date de publication : 27/01/1969

Texte original

Texte Français

DISCOURS DU PAPE PAUL VI

À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE



27 janvier 1969



" AUTORITÉ DANS L’ÉGLISE ET « SERVICE JURIDIQUE » "



Nous sommes heureux de vous voir autour de Nous et de vous saluer tous. A vous-même, aux autres officiers de ce tribunal et à tous ceux qui lui apportent leur collaboration, Nous adressons Nos voeux les meilleurs pour chacune de vos personnes et pour votre activité judiciaire. Nous remercions en particulier M. le Doyen des paroles qu'il vient de Nous adresser, des informations qu'il Nous a données, où, en de brèves observations et quelques chiffres, se trouve résumé le travail intense et attentif de votre tribunal.


Le pouvoir judiciaire de l'Eglise, expression de l'autorité qu'elle tient du Christ


Outre le plaisir d'une rencontre si cordiale et instructive, cette audience annuelle Nous offre l'heureuse occasion de considérer et d'honorer ce pouvoir judiciaire de l'Eglise catholique. Nous voyons en lui une expression originelle et capitale de l'autorité dont le Christ a voulu que soit revêtue l'Eglise dont il est le fondateur et le chef unique. Il lui a donné le pouvoir non seulement de répandre dans son Corps mystique les charismes vivifiants et sanctifiants de l'Esprit, mais de gouverner ce même Corps en son nom, avec pouvoir de juridiction, en tant qu'il est une communauté visible, sociale, organique et hiérarchique.

La fonction judiciaire découle en effet du pouvoir de juridiction. L'un et l'autre remontent au Christ, source de l'autorité dans l'Eglise. La royauté spirituelle lui est due non seulement en raison de la suprématie de sa personne divine et de sa dignité de Chef de l'Eglise, mais aussi parce qu'il l'a conquise et méritée par l'humilité et la générosité de sa passion rédemptrice III 47,2 III 48,1 III 59,3 (Pie XI Enc. Quas primas AAS XVII, 1925, p. 593 ss.). Nous devons certes reconnaître au pouvoir de juridiction dans l'Eglise l'exercice d'une causalité différente de la causalité sanctificatrice. Cette dernière a pour unique source le Christ, et celui qui la dispense est seulement ministre, instrument; la causalité juridictionnelle, par contre, bien que tirant du Christ sa force et sa raison d'être, a une procédure humaine qui lui est propre, et celui qui en est investi est ainsi un exécuteur responsable, une cause seconde, comme disent les théologiens III 8,6 (Journet, l'Eglise du Verbe incarné I, p.159). Mais ce pouvoir rend lui aussi gloire au Seigneur parce qu'il le représente 2Co 5,20: il remplit sa mission, il sert ses disciples, il témoigne de sa présence historique dans le monde.

Chacun sait que la reconnaissance du pouvoir de juridiction s'insère dans le cadre de cette ecclésiologie intégrale que Nous considérons comme authentique et qui, sans rien négliger de la réalité et de la profondeur de l'aspect mystique et charismatique de l'Eglise, prend aussi en considération l'aspect visible et social qui fait d'elle une société juridiquement parfaite. Cette société n'est pas en tous points égale à la société civile; elle a un caractère original propre. A cause de sa fin propre et des moyens par lesquels elle la réalise, elle a en effet un caractère surnaturel et spirituel. Son divin Fondateur a voulu qu'elle trouve en elle- même les ressources nécessaires à son existence et à son activité (Léon XIII, Enc. Immortale Dei, AAS XVIII, 1885-1886, p.165 )


Le problème actuel de l'autorité dans l'Eglise


Que cela vaille également pour le pouvoir judiciaire, on en trouve facilement la preuve dans des textes du Nouveau Testament, connus de tous Mt 18,17 1Co 6,1 et ss. 1Tm 5,19 et dans toute la tradition de l'Eglise (cf. Wernz-Vidal VI, p.23 et ss.), confirmée par le récent deuxième Concile du Vatican. La constitution dogmatique Lumen Gentium, comme vous le savez, dit en effet que " les évêques ont le droit sacré, et devant Dieu le devoir, de porter des lois pour leurs sujets, de rendre les jugements iudicium faciendi et de régler tout ce qui concerne l'ordre du culte et de l'apostolat" LG 27

Il est bon de rappeler cela parce qu'aujourd'hui où la notion d'autorité dans l'Eglise est à juste titre ramenée à sa raison d'être, qui est de servir, il ne faudrait pas se méprendre sur l'origine de cette autorité, comme si elle émanait de la communauté des fidèles et non du droit divin, qui est sa source supérieure; comme si ce principe efficient se confondait avec le but pour lequel le Christ a institué l'Eglise, c'est-à-dire guider et sauver le peuple de Dieu. Il ne faudrait pas non plus que soit indûment paralysé l'exercice de l'autorité légitime de l'Eglise dans ses fonctions qui sont précisément destinées à servir de multiples façons les besoins toujours plus grands et plus complexes de la vie de l'Eglise. Il serait instructif à ce propos de rappeler à titre d'exemple que le pape saint Grégoire le Grand, qui a voulu, en esprit d'humilité et de service, se désigner comme " le serviteur des serviteurs de Dieu " ( cf. Grisar, San Gregorio P.74-75), a toujours revendiqué pour le ministère de Pierre, plus encore que les autres papes, " la sollicitude... de toute l'Eglise et l'autorité sur elle " ( cf. Battifol, San gregorio, p. 207).


Esprit de service


Aussi, voulant honorer dans le tribunal auquel vous appartenez et que vous servez, le caractère de service qui le justifie et le distingue, voyons-Nous volontiers en lui le reflet de certaines des vertus chrétiennes dont, avec l'aide de Dieu, Nous voulons qu'elles caractérisent Notre fonction apostolique. Notre service est avant tout un service de charité. Rappelons-nous le mandat qui est exprimé dans tout l'Evangile du Seigneur, et dont nous retrouvons l'écho dans cette exhortation que saint Bernard adressait au pape Eugène: "Ton cœur est comme une fontaine publique, à laquelle tous ont le droit de boire "(De cons. 1,5) Tel est également votre service. Sa compétence est ouverte à toute l'Eglise, conformément au droit CIS 1599, de sorte que sa sollicitude ne connaît pas de frontière, ce qui est le propre de la charité. L'ampleur croissante de votre travail le démontre d'ailleurs.

Notre service veut également être un service pastoral de vérité, de sagesse, de justice, de prudence chrétienne. Egalement - et même principalement - sous cet aspect il se reflète dans votre activité judiciaire, s'il est vrai, comme l'enseigne saint Thomas II-II 60,1, que tout jugement implique une rectitude de la raison et est comme une justice personnifiée.


Le " juridisme "


Dans cette apologie de votre fonction canonique spécifique, et dans cette comparaison entre votre activité judiciaire et Notre mission apostolique, certains pourraient peut-être se demander s'il ne s'y cache pas du juridisme, nom hybride, qui sert à désigner une attitude théorique et pratique si critiquée par ceux qui veulent promouvoir le renouveau évangélique et spirituel de l'Eglise, et si contestée par ceux qui suscitent des courants dont l'idéal est contraire, mais en fait s'inspire aussi de la sécularisation. Telle n'est pas Notre pensée, non plus que Notre intention. Une Eglise où un Droit canonique, extérieur et formaliste, négligerait l'esprit de l'Evangile, primerait sur la spéculation théologique, étoufferait la formation d'une conscience éclairée capable de s'autodéterminer, retarderait le développement de la vie ascétique et proprement religieuse, cette Eglise-là ne répondrait pas aux orientations rénovatrices du Concile, pas plus qu'aux Nôtres, par conséquent. Mais le Concile non seulement ne répudie pas le Droit canonique, c'est-à-dire la norme qui précise les devoirs et défend les droits des membres de l'Eglise, mais il le souhaite et le veut, comme une conséquence du pouvoir laissé par le Christ à son Eglise, comme une exigence de sa nature sociale et visible, communautaire et hiérarchique LG 27 comme un guide pour la vie religieuse et la perfection chrétienne LG 45 PC 1, et comme une garantie juridique de la liberté DH 15

C'est pourquoi le Concile a voulu que soit révisé le Code de droit canon CD 44. Cette révision est en cours, comme on le sait elle s'inspire de critères qui correspondent mieux à la mission pastorale de l'Eglise et aux exigences légitimes de la vie moderne.

Ce n'est donc pas le juridisme qui anime ce prudent et sage tribunal, serviteur du droit, interprète de la justice, sensible à l'équité et à la miséricorde, comme vous l'a déjà dit Pie XII, Notre prédécesseur de vénérée mémoire 1940 mais l'esprit de l'Eglise catholique, protectrice attentive de la loi chrétienne et interprète maternelle de la réalité humaine: " C'est dans la nature intime de l'homme que le droit doit puiser sa discipline " (Cicéron De legibus II).


En une heure grave et décisive de la vie de l'Eglise


C'est pourquoi Nous honorons volontiers cette institution, Nous la confirmons, Nous lui exprimons Notre reconnaissance, Nos encouragements, Nos éloges.

Et ici, Nous devrions parler de votre travail. Mais vous pouvez bien imaginer quelle est Notre pensée sur ce point, et il est superflu que Nous retenions davantage votre patiente attention.

En cette heure de renouveau de la vie de l'Eglise, grave et décisive sous de nombreux aspects; en cette heure où certains de ses fils sont inquiets, où les mentalités évoluent, où les mœurs se relâchent, où tous les processus humains s'accélèrent, où les disciplines juridiques et scientifiques progressent, où l'on a besoin de témoignages d'intégrité, de fermeté, de bonté, où l'on attend de l'Eglise catholique que dans toutes ses manifestations elle soit davantage consciente de sa mission, plus libre à l'égard des intérêts temporels, qu'elle irradie davantage l'Evangile de salut dont elle est messagère, il est bien certain que Nous attendons également de vous, membres de Notre illustre Tribunal de la Sacrée Rote romaine, une nouvelle résolution de perfection dans tous vos éléments. Quant à Nous, Nous sommes prêt à le soutenir et à l'aider afin qu'il mérite toujours davantage la confiance publique et qu'avec Notre bénédiction il ait aussi celle de Dieu.



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Consulté sur :

http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/pt/jld.htm


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