Discours du 8 février 1973 aux membres du Tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année judiciaire
de Paul VI
Date de publication : 08/02/1973

Texte original

Texte Français

DISCOURS DU PAPE PAUL VI

À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE



8 février 1973



" EQUITE CANONIQUE, DANS LA NATURE DU DROIT DE L'EGLISE ET SON ROLE DANS LA PASTORALE "



Cette rencontre annuelle avec vous, vénérés auditeurs et officiers de la Sacrée Rote romaine, est pour Nous une très grande joie, parce que, en plus de Nous donner l'occasion de renouveler l'expression de Notre confiance dans la mission que Nous vous avons confiée en tant que pasteur et vicaire du Christ, elle Nous permet de connaître vos sentiments et vos intentions.

C'est ainsi que Nous avons pu entendre, dans les paroles de votre vénéré doyen, Mgr Boleslas Filipiak, votre sollicitude pastorale. Cette sollicitude est chez vous une tradition de sage équité, de " modération sacerdotale " (1970), et elle correspond pleinement à l'esprit de l'Eglise, aux directives du deuxième Concile du Vatican et aux vœux de l'épiscopat catholique tout entier. En réalité, les qualités du droit que vous appliquez doivent transparaître dans l'exercice de votre fonction et dans les sentences que vous prononcez. En interprétant le droit, vous faites usage des pouvoirs et de la liberté qui vous ont été donnés. Pour vous, un juste jugement n'est pas seulement une sentence exprimant l'équité naturelle, mais il reflète cette aequitas canonica qui est le fruit de votre charité pastorale et constitue l'une de ses expressions les plus délicates.

Dans le travail du législateur canonique comme dans celui du juge ecclésiastique, cette " équité canonique " demeure un idéal sublime et une précieuse règle de conduite. Cela fut rappelé bien clairement pendant la préparation du Concile: "Que dans toutes les lois que l'on élabore brille l'esprit de charité et de mansuétude du Christ, qui est et sera toujours la règle d'or de l'Eglise dont doivent s'inspirer les lois et les jugements " (Rapport sur le schéma d'un texte concernant le sacrement de mariage, texte amendé, Polyglotte vaticane, 1964). Cette règle d'or figure aussi parmi les normes pour la révision du Code qui ont été approuvées par le Synode des évêques: " Que le Code s'attache non seulement à la justice, mais à la sage équité, qui est le fruit de la bonté et de l'amour. Qu'il fasse appel à la discrétion et à la sagesse des pasteurs et des juges pour qu'ils exercent ces vertus" (Principes devant inspirer la révision du Code de droit canonique, No 3 Communicationes, 1, 1969, 79). Le droit canonique apparaît ainsi non seulement comme norme de vie et règle pastorale, mais aussi comme école de justice, de discrétion, de charité active. Où tout cela pourra-t-il le mieux se concrétiser sinon chez vous, dans votre tribunal, où ce droit est appliqué au service des âmes?

Nous avons déjà eu l'occasion de vous manifester Notre désir d'approfondir cette notion d'" équité canonique " pour en mettre en lumière la valeur (1970). Aujourd'hui, Nous Nous proposons de le faire; et, pour cela, il Nous faudra remonter à la nature même du droit de l'Eglise.


Nature pastorale du droit de l'Eglise


Nous adressant à des juges provenant de tous les pays et réunis ici, Nous avons rappelé récemment que "le droit canonique est le droit d'une société visible, certes, mais surnaturelle, édifiée par la parole et les sacrements, à laquelle il est demandé de conduire les hommes au salut éternel" (1972). C'est pourquoi il " est un droit sacré, tout à fait distinct du droit civil. C'est, il est vrai, de par la volonté même du Christ, un droit d'un genre particulier, hiérarchique. Il s'inscrit tout entier dans l'action salvifique par laquelle l'Eglise continue l'œuvre de la Rédemption. "(1972). Le droit canonique est donc, de sa nature, pastoral. Il est l'expression et l'instrument de la charge apostolique, et un élément constitutif de l'Eglise du Verbe incarné.

En tant que société visible, l'Eglise possède son droit, fondé sur la nature même de l'Eglise, " peuple constitué en corps social organique, en vertu d'une action et d'un dessein divins, moyennant un ministère, un service pastoral - Nous tenons à le souligner - qui promeut, dirige, enseigne, éduque et sanctifie dans le Christ l'humanité adhérant à lui dans la foi et la charité " (1970).

Le Concile a voulu expliciter ce mystère en soulignant le caractère sacramentel de la société ecclésiale: " L'Eglise est, dans le Christ, en quelque sorte le sacrement, c'est-à-dire à la fois le signe et le moyen de l'union intime avec Dieu et de l'unité de tout le genre humain "(LG 1) "C'est le Christ qui l'a achetée de son sang, emplie de son Esprit et pourvue des moyens adaptés pour son unité visible et sociale " (LG 9). Il y a en cela une analogie mystérieuse. En effet, poursuit le Concile: " Tout comme la nature prise par le Verbe divin est à son service comme un organe vivant de salut qui lui est indissociablement uni, de même le tout social que constitue l'Eglise est au service de l'Esprit du Christ qui lui donne la vie, en vue de la croissance du corps" (LG 8). Cette union est si étroite qu'elle ne permet pas à ces deux aspects, bien que distincts, d'être en opposition entre eux. La société visible est communauté spirituelle, et celle-ci ne peut pas exister sans celle-là et en dehors d'elle: " Cette société organisée hiérarchiquement d'une part, et le Corps mystique d'autre part, l'assemblée discernable aux yeux et la communauté spirituelle, l'Eglise terrestre et l'Eglise enrichie des biens célestes ne doivent pas être considérées comme deux choses, elles constituent au contraire une seule réalité complexe, faite d'un double élément humain et divin. C'est pourquoi, en vertu d'une analogie qui n'est pas sans valeur, on la compare au mystère du Verbe incarné " (LG 8). Le droit tend à structurer et à organiser cette réalité organique " qui exige une forme juridique et est animée en même temps par la charité " (LG 1, note préliminaire). Droit et charité ne peuvent être en opposition là où ils sont essentiellement unis.


Cela a incité un Père du premier Synode des évêques à affirmer que dans l'Eglise le divin et l'humain ne sont pas deux choses qui s'opposent, mais des éléments qui s'unissent en une seule réalité. Leur rapport n'est pas " comme celui d'une réalité à une autre. Mais... l'un et l'autre élément, en tant qu'essentiellement constitutifs, façonnent l'unité de la vie de l'Eglise de telle sorte que la structure externe soit comme un signe sacramentel par lequel la vie interne de l'Eglise est signifiée et créée. C'est ainsi que toute l'activité juridique de l'Eglise est comme un signe de ce sacrement de salut qu'est l'Eglise, bien que ce signe ne se restreigne pas à l'activité juridique. Sous cet aspect, l'activité juridique de l'Eglise ne peut avoir d'autre fin que de manifester et de servir la vie de l'Esprit, c'est-à-dire la vie divine des fidèles, et particulièrement la charité " (Communicationes I, 1969 p.97- 98). Il Nous plaît de faire remarquer que la rédaction du " Nouveau droit ", qui devra nécessairement s'inspirer du Concile, ne fera qu'appliquer cette doctrine; et les principes de cette révision reprendront eux aussi cette même doctrine (Communicationes I, 1969, p. 79).

La sacramentalité de l'Eglise assure son union avec Dieu, son efficacité surnaturelle, son sens du Christ. Celle-ci est en outre animée par l'Esprit qui construit et anime le Corps mystique du Christ, Peuple de Dieu, y transfigure les hommes en fils de gloire et leur assure la liberté des enfants de Dieu, les fait prier avec la prière de Jésus (Rm 8,15) et agit dans leur apostolat. Tout apostolat est action du Christ; il ne peut s'exercer que sous l'impulsion de l'Esprit. Et comme l'Esprit sonde les profondeurs de Dieu (1Co 2,10) et sait ce qui plaît au Seigneur (Rm 8,27), ainsi il suscite en nous une prière indicible et il continue l'action salvifique du Christ à travers les actes de ses membres, pasteurs et fidèles. Si le droit canonique a son fondement dans le Christ, Verbe incarné, et donc a valeur de signe et d'instrument de salut, c'est par l'action de l'Esprit, qui lui donne force et vigueur. Il faut donc qu'il exprime la vie de l'Esprit, qu'il produise les fruits de l'Esprit, qu'il révèle l'image du Christ. C'est pourquoi il est un droit hiérarchique, un lien de communion, un droit missionnaire, un instrument de grâce, un droit de l'Eglise. Ces qualités sont les exigences de l'Esprit qui vivifie et dirige l'Eglise, l'unit au Christ, la conduit à Dieu et aux hommes en un même élan d'amour.

 C'est ce travail de l'Esprit que maintenant Nous voudrions mettre en relief dans l'évolution de cette " équité canonique " qui confère au droit de l'Eglise sa physionomie propre, son caractère pastoral.


Evolution et avenir de l'"équité canonique"


Comme nous l'avons vu, l'Eglise est sacrement de Jésus-Christ, de même que Jésus-Christ, dans son humanité, est sacrement de Dieu " (H. de Lubac, Méditation sur l'Eglise, 1953, p. 157). C'est dans ce mystère que nous devons voir la fonction du droit canonique, votre mission et cette vertu qui, progressivement institutionnalisée, est devenue l'" équité canonique ", définie par Hostiensis: " La justice tempérée par la douceur de la miséricorde " (Summa aurea, 1, V, De Dispensationibus), définition qui sera reprise par tous les canonistes. Hostiensis poursuit: " Voici comment Cyprien décrit ceci: l'équité est la justice, elle est le mouvement rationnel dictant la sentence et la rigueur. C'est cette équité que le juge, qui est ministre, doit toujours avoir devant les yeux. Ce qui veut dire qu'il doit savoir récompenser les bons et punir les mauvais. C'est la voie royale toute droite, qui suit la raison et ne s'écarte ni à droite ni à gauche. " En lisant ce texte, ne voyons-nous pas apparaître une lumière, le Seigneur de la justice et de la grâce, le Sauveur et le Juge des hommes?

Dès son origine, l'Eglise a assumé dans sa vie tout ce qu'il y avait de vrai, de noble, de juste et de beau dans la vie sociale et les aspirations des hommes, faisant ainsi resplendir l'amour de Dieu dans l'humanité divinisée par l'Esprit d'amour. L'équité représente l'une des plus hautes aspirations de l'homme. Si la vie sociale impose les déterminations de la loi humaine, ses lois, inévitablement générales et abstraites, ne peuvent cependant pas prévoir les circonstances concrètes dans lesquelles les lois seront appliquées. Devant ce problème, le droit a cherché à amender, rectifier, et aussi corriger la " rigueur du droit ", par l'équité, qui incarne ainsi les aspirations humaines à une justice meilleure.

L'équité, que la tradition chrétienne a reçue de la jurisprudence romaine, donne au droit canonique la qualité de ses lois, la norme de leur application, une attitude d'esprit et d'âme qui tempère la rigueur du droit. La présence de l'équité, comme élément humain correctif et facteur d'équilibre dans le processus mental qui doit amener le juge à prononcer la sentence, se rencontre dans les Décrétales et dans toute l'histoire du droit canonique, bien que sous des noms divers.

C'est cet élément qui caractérise tout spécialement votre jurisprudence. L'Eglise impose au juge ecclésiastique l'obligation de juger " équitablement et avec bonté ". Cette obligation, votre tribunal l'a toujours faite sienne, surtout dans les causes confiées à l'arbitrage de la Rote. C'est "l'équité informée par le droit".

Le Code actuel a fait siennes les exigences de miséricorde et d'humanité en vue d'une justice plus douce, plus compréhensive. Il parle d'"équité", d'"équité naturelle", d'"équité canonique", en se référant au principe ultime auquel on fera appel, le droit naturel ou le droit canonique. Il précise ensuite la portée et la fonction de l'équité: elle consiste en une justice supérieure en vue d'une fin spirituelle; elle adoucit la rigueur du droit, et parfois aussi elle aggrave certaines peines; en tout cas, elle se distingue du pur droit positif, qui ne peut tenir compte des circonstances. Enfin, conformément aux origines apostoliques du droit (1Co 6,1-7) il va même jusqu'à recommander d'éviter les procès, en remettant la cause à des arbitres qui jugeront "avec équité et bonté" (CIS 1929).

Aujourd'hui, l'influence du deuxième Concile du Vatican se fait sentir toujours davantage sur l'évolution du droit. Ne sera-t-il pas nécessaire de repenser l'" équité canonique " à la lumière du Concile, afin de lui donner une valeur plus chrétienne et un sens plus fortement pastoral? Les principes de la révision semblent le suggérer: la " sage équité " dont ils parlent est le fruit de la bonté et de la charité. En repensant cette institution, on devra en sauvegarder l'esprit.


Valeur pastorale du pouvoir de juridiction


C'est dans l'" équité canonique " que s'affirme le caractère pastoral de votre fonction de juges, caractère qui a été récemment réaffirmé d'une manière autorisée (Cf. D. Staffa, De natura pastorali administrationis iustitiae in Ecclesiae Periodica, 61, 1972, 3-17.) En vérité, ce ministère de l'Eglise est pastoral dans le plein sens du terme. C'est un ministère du sacerdoce chrétien (LG 27). Il a ses racines dans la mission que le Seigneur a confiée au " premier Pierre " (1941) qui, dans ses successeurs, continue à gouverner, à enseigner, à juger (DS 3056). Il fait partie intégrante du mandat apostolique, et y participent tous ceux, prêtres et laïcs, qui sont appelés à exercer la justice en Notre nom et au nom de Nos Frères dans l'épiscopat. Ce pouvoir fut exercé par les Apôtres, et leurs successeurs ont continué cette mission. En suivant le conseil de l'Apôtre des gentils, ils ont jugé également les causes civiles pour y faire prévaloir le droit tempéré par la charité 1Co 6,1-7. Saint Augustin le rappelle: " Il a en effet donné compétence aux hommes d'Eglise pour ces causes, en interdisant aux chrétiens de soumettre leurs différends à des tribunaux civils "(Enarrationes in Ps. 118. Serm. 28,3). Lorsque le christianisme aura transformé les mœurs de la société, ces causes séculières seront remises aux tribunaux civils, où l'on se plaît également à voir la justice appliquée selon les principes de la Vérité divine.

Ce ministère du juge ecclésiastique est pastoral, parce qu'il vient en aide aux membres du Peuple de Dieu qui sont en difficulté. Le juge est pour eux le Bon Pasteur qui console les victimes, guide ceux qui se sont fourvoyés, reconnaît les droits de ceux qui ont été lésés, calomniés ou injustement humiliés. L'autorité judiciaire est ainsi une autorité de service, un service qui consiste à exercer le pouvoir confié par le Christ à son Eglise pour le bien des âmes.

Parce qu'il est évangélique, ce service évitera toute forme d'absolutisme ou d'égoïsme. Il s'accomplira dans le respect de la personne, libre et responsable. Il consistera à guider sans opprimer, à aimer un frère qui accepte l'obéissance comme un devoir et non comme une nécessité extrinsèque, comme un bien pour le chrétien et un bénéfice pour la communauté.

Grâce à l'" équité canonique", le juge tiendra compte de tout ce que la charité suggère et permet pour éviter la rigueur du droit, la rigidité de son expression technique. En faisant de la charité, don de l'Esprit qui libère et vivifie, l'âme de ses interventions, il évitera la lettre qui tue. Il tiendra compte de la personne humaine, des exigences de la situation, lesquelles, si parfois elles imposent au juge le devoir d'appliquer la loi plus sévèrement, portent ordinairement à exercer le droit d'une manière plus humaine, plus compréhensive: il faudra veiller non seulement à protéger l'ordre juridique, mais aussi à guérir et à éduquer, en manifestant une vraie charité. L'exercice pastoral du pouvoir judiciaire est plus médicinal que vindicatif. S'il comporte des peines, celles-ci ne devront jamais apparaître comme une vengeance, mais, selon la pensée de saint Augustin, comme une expiation désirée (De civitate Dei, XXI, 13).

Cette doctrine pondérée, constamment rénovée et adaptée en vertu de l'" équité canonique " que vous appliquez, sera aussi une œuvre pastorale.

Les décisions de la Rote sont un monument de science juridique et de sagesse chrétienne, auquel s'ajoutent aujourd'hui, comme un heureux complément, les décisions du Tribunal suprême de la Signature apostolique, régulièrement publiées. Profitons-nous suffisamment de ces trésors, qui contiennent non seulement des normes juridiques et des règles de droit, mais aussi de nombreuses indications pastorales de caractère psychologique et social?

Mais la pastorale a aujourd'hui un autre sens, qui a un lien profond avec la tâche pastorale de l'épiscopat et la mission apostolique de l'Eglise. La pastorale est l'organisation bien pondérée de l'apostolat. Elle a en vue la répartition équilibrée des personnes, elle favorise une meilleure collaboration grâce à un programme pastoral fondé sur une information sérieuse et objective, programme qui cependant ne peut étouffer l'Esprit (1Co 12,11) ni empêcher la liberté de ses dons (1Th 5,19). Cette pastorale d'ensemble ne peut devenir ni une chaîne ni une forme nouvelle d'autoritarisme, de domination ou de centralisation excessive.

Plus encore que d'un renouveau du travail apostolique par une meilleure collaboration, la pastorale se préoccupe des personnes, de celles qui sont à la recherche de la vérité, de celles qui doivent grandir dans le Christ. C'est dans ce sens qu'une constitution du deuxième Concile du Vatican fut appelée " pastorale ". Elle constitue un effort d'insertion et de présence de l'Eglise parce que, " s'appuyant sur des principes doctrinaux, elle entend exprimer les rapports de l'Eglise et du monde, de l'Eglise et des hommes d'aujourd'hui" (GS 1).

Le droit canonique, de même que les pasteurs et les juges, doit s'ouvrir aux exigences d'une pastorale rénovée. " Le Droit canonique, comme tout ce qui est dans l'Eglise, est orienté tout entier au bien des âmes, disait Notre vénéré prédécesseur Pie XII. Lorsqu'il administre les affaires ecclésiastiques, lorsqu'il exerce les fonctions de juge, lorsqu'il aide de ses conseils les ministres sacrés ou les fidèles, il (le canoniste) pensera constamment au salut des âmes (...) dont il devra rendre compte " (citation de 1953 inconnue).

Nous sommes heureux d'avoir pu faire ces réflexions avec vous sur les exigences de votre mission, sur la nature du droit canonique et sur le mystère de l'Eglise. Ce mystère de " l'Eglise de la Trinité " (St Cyprien De orat. Dom. 23: PL 4,553 ) est toujours présent à Notre esprit. Nous en avons fait si souvent l'objet de Nos considérations que ses divines profondeurs Nous apparaissent toujours plus lumineuses et réconfortantes. C'est cela l'Eglise. Elle est " le Christ total " qui, dans l'Esprit, unit l'humanité à la vie divine où le Père des lumières s'exprime dans son Verbe pour s'unir l'une et l'autre dans ce mutuel amour qu'est l'Esprit-Saint. L'Eglise est le sacrement de cet amour. Voilà pourquoi elle est la mère des hommes créés à l'image de Dieu et sauvés par le Verbe fait chair. Elle est signe de vie divine et instrument de salut. Et vous, lorsque vous prononcez vos sentences, " en ayant en vue Dieu seul ", vous servez et vous adorez précisément ce Dieu d'amour.

La justice, que vous devez exercer avec " équité canonique", vous la voulez plus rapide, plus douce, plus sereine. Plus rapide: en effet, la prudence ne s'identifie pas nécessairement avec la lenteur, laquelle aboutit parfois à une véritable injustice, pour le plus grand mal des âmes; plus douce, mais " l'équité canonique" " ne doit pas être sollicitée plus qu'il se doit, au point qu'elle fasse négliger la loi ", parce qu'alors elle deviendrait nuisible et serait une cause d'incertitude (F.Roberti De processibus p. 99) plus sereine, mais là encore, rien ne serait plus nuisible à l'ordre social qu'une jurisprudence qui, pour être pastorale, voudrait négliger le droit; qui, pour remédier à des situations douloureuses, porterait atteinte à la vérité révélée et aux données de la foi; et qui ne parviendrait plus à voir dans le consentement matrimonial ce contrat de fidélité et ce signe d'union qui, dans la volonté humaine, sont la première fleur de l'amour.

Nous savons la préoccupation de tant de juges qui, comme vous, voient diminuer le nombre des étudiants dans Nos facultés de droit canonique. Cette situation met certaines Eglises particulières dans l'impossibilité d'exercer avec compétence et rapidité la " fonction de juger " qui leur est confiée par Dieu. Elle peut aussi porter préjudice au plein exercice des prérogatives de l'épiscopat.

Voilà les pensées que Nous avons cru bon de soumettre à votre réflexion, en ayant confiance qu'elles vous feront toujours mieux comprendre que votre mission est importante, que votre responsabilité est pastorale, que vos sentences peuvent être source de paix et de réconfort.

En signe de Notre reconnaissance et de Notre estime, à vous tous qui êtes ici présents et à vos collaborateurs, Nous donnons Notre Bénédiction apostolique.



_______________

Consulté sur :

http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/pt/jlg.htm