Discours du 30 janvier 1975 aux membres du Tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année judiciaire
de Paul VI
Date de publication : 30/01/1975

Texte original

Texte Français

DISCOURS DU PAPE PAUL VI

À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE



30 janvier 1975



" NECESSITE DE LA ROTE ROMAINE SAUVEGARDER LES VALEURS SANCTIONNEES PAR LE DROIT DIVIN "

MOTU PROPRIO "CAUSAS MATRIMONIALES"




Nous trouvons toujours un motif de vive satisfaction dans cette audience annuelle qui Nous permet de rencontrer le Tribunal de la Sacrée Rote romaine. C'est pour Nous une occasion propice d'exprimer à une aussi importante et illustre institution de la Curie romaine Notre estime, Notre reconnaissance, Nos encouragements, et tout spécialement Notre bienveillance et Nos voeux de bénédiction au début de la nouvelle année judiciaire.


Une fonction nécessaire, au service du pouvoir pastoral de l'Eglise


Les aimables paroles que vient de Nous adresser Monseigneur le Vice-Doyen Nous obligent en outre à une réflexion sur la fonction que depuis des siècles, ledit Tribunal remplit ici, en conformité avec le pouvoir judiciaire de la Sainte Eglise, près de Notre Siège apostolique, où l'exercice d'un tel pouvoir s'accomplit dans sa dimension la plus étendue et dans sa responsabilité la plus grave et la plus consciente. C'est une fonction nécessaire en tant qu'elle intègre le pouvoir de juridiction conféré par le Christ aux Apôtres et, premier parmi eux, à l'apôtre Pierre, en vue du gouvernement effectif de l'Eglise (1Co 4,20). Dès la première expérience de vie communautaire et hiérarchique de l'Eglise, une telle fonction se révéla nécessaire à cause de sa dimension sociale et, comme vous le savez, elle s'exerça très opportunément au cours des siècles et se révéla indispensable autant que providentielle (cf. Wernz-Vidal, Ius Can., VI, p. 23 ss.) C'est ce que le récent Concile reconnut implicitement en confirmant que cette fonction faisait partie de l'office épiscopal et pontifical - droit et devoir - de gouverner l'Eglise de Dieu (LG 24 LG 27 CD 2 CD 9) On sait aussi que c'est une fonction libre et autonome vis-à-vis des autorités préposées à l'ordre temporel, orientée comme elle l'est vers des personnes et des faits appartenant au domaine spirituel propre à l'Eglise visible et sociale; à cette fonction, il incombe en conséquence d'arbitrer la législation spécifique de celle-ci (1Co 6,1 et ss). De plus, il s'agit d'une fonction qui se caractérise par le style et la finalité, en vertu desquels se justifie et s'exerce dans l'Eglise le pouvoir juridictionnel, qui est un pouvoir pastoral, c'est-à-dire un pouvoir de service, conçu en faveur non pas de ceux qui en sont déjà investis, mais de ceux pour qui cette autorité s'exerce. C'est un principe dominant dans toute la conception constitutionnelle de la hiérarchie ecclésiastique, et qui à présent, grâce au récent Concile, a été rappelé à la conscience et à la praxis apostolique: le prophète mystique médiéval, saint Bernard, si sensible et si exigeant à cet égard, s'en serait vivement réjoui: "Nous devons bien comprendre, écrivait-il au pape Eugène III, son ancien élève, que c'est un office qui nous a été confié, et non pas une domination " (De consideratione, 2.6 P.L. 182,747 ).

Nous vous disons cela parce que Nous aussi, Nous éprouvons l'amertume qui transparaissait dans la voix sereine de Mgr le Vice-Doyen, quand il a signalé certaines insinuations malignes et certaines appréciations injustes contre cet honnête organe judiciaire du Saint-Siège, comme en général à l'égard du pouvoir propre des tribunaux ecclésiastiques, alors que nous connaissons l'intégrité traditionnelle de la Sacrée Rote romaine, le sens austère et objectif de la justice chrétienne qui inspire son œuvre et, Nous pouvons le dire, dans la même ligne, celle des tribunaux des Eglises locales; un sens de la justice qui mérite Nos applaudissements et Notre confiance et que Nous souhaitons voir rester toujours inaccessible aux faiblesses d'intérêts particuliers, comme aux sophismes du relativisme éthique et de l'opportunisme juridique et, en même temps, toujours attentif à reconnaître les aspects humains qui transparaissent de plus en plus nettement dans le développement de la coexistence sociale. A leur égard l'application abstraite de la norme juridique se tempère et s'ennoblit grâce à la sagesse d'enquêtes très complètes et très approfondies et de procédés plus équitables, parfois même très indulgents.


Sauvegarde des valeurs sanctionnées par le droit divin


A ce propos Nous tenons à vous faire part d'une pensée insistante qui concerne un double devoir inhérent à l'exercice de la justice; un double devoir presque caractéristique de la mission régulatrice de différends qui se répètent dans les relations humaines et sont de la compétence de la justice ecclésiastique.

Le premier devoir est celui de la sauvegarde - et par le fait même de l'affirmation et de l'apologie - de ces valeurs qui, pour des raisons indiscutables: bibliques, théologiques ou rationnelles, revêtent un caractère d'intangible autorité, parce que sanctionnées par le droit divin: elles sont par conséquent tenues pour sacrées par le magistère ecclésiastique et doivent toujours être professées par une droite conscience humaine. Et parmi tant d'autres, n'y trouve-t-on pas ce droit divin, et par conséquent ce devoir humain, de l'indissolubilité du mariage parfait et véritable, c'est-à-dire ratifié et consommé, qui constitue la matière la plus fréquente et la plus grave de votre activité judiciaire? Et cette défense claire et inflexible de l'institution conjugale, et par conséquent de l'institution familiale, base fondamentale d'une société morale, saine et civilisée, n'est- elle pas une très haute mission, un mérite incomparable de votre tribunal et de tous les autres tribunaux qui, dans l'Eglise catholique, ont le Droit canonique pour propre loi? Quel service vital, quel exemple typique, quelle noble leçon de sagesse et de force ne donnez- vous pas au Peuple de Dieu et, par voie de conséquence, à la civilisation humaine! On pourrait étendre cette considération à d'autres chapitres de la vie, en butte aujourd'hui à d'invraisemblables contestations, telle la légalisation de l'avortement provoqué. On pourrait l'étendre aussi à d'autres attentats aux droits fondamentaux de l'homme, ainsi qu'aux menaces s'élevant contre la paix et en faveur - hypothétique mais non impossible - des plus meurtriers instruments de massacres et de guerres. Ces conflits-là échappent à votre compétence, on le sait parfaitement: mais ils ne sont pas soustraits au rayonnement d'idéal qui émane de votre inébranlable sagesse juridique et qui met en garde l'humanité et l'encourage à faire de la raison, de la justice, du droit, la grande et seule méthode capable de garantir l'ordre le meilleur et le plus pacifique dans les relations humaines. Vous les gratifiez ainsi, sans dévier de la soumission aux exigences de la loi divine et humaine, d'un formidable facteur de justice et de paix: la charité, cet amour qui a sa source en Dieu et retourne à Dieu lui-même, et qui imprègne votre service austère d'un caractère nouveau et tout particulier, le caractère pastoral.


Qualités juridiques


Et voici le second devoir, celui précisément de la sollicitude pastorale de votre activité judiciaire. Oh! Nous n'ignorons pas à quel point vous connaissez, méditez et pratiquez l'ensemble des vertus professionnelles propres aux juges dans l'Eglise catholique. Que ceci soit dit en faveur de vos dignes personnes auxquelles Nous aimons penser que tous les membres de votre tribunal sont associés de manière exemplaire; mieux, Nous souhaitons que le soit tout le corps d'élite des avocats et des experts, participants eux aussi, non seulement du travail de la Rote, mais tout autant de son esprit digne d'éloges, de son niveau moral très élevé. Nous voulons que ce vénérable tribunal apparaisse à tous, à l'Eglise, au monde, comme un laboratoire de qualités juridiques non inférieur aux autres dans le forum civil.

Mais les valeurs morales ne suffisent pas toujours à satisfaire aux nécessités techniques de l'administration de la justice. Il faut des lois, il faut une procédure qui les rende précises et expéditives. Et quant à cet autre aspect de votre activité, où l'aspect pastoral peut précisément être le mieux documenté, vous savez que se trouve à l'étude, pour ne pas dire en acte, la révision du Code de procédure canonique, confiée aux soins et à la compétence de la Commission pontificale constituée ad hoc.


Le Motu proprio "Causas matrimoniales"


Entre-temps, on a cru opportun d'assouplir la procédure du Code en matière matrimoniale, au moyen des dérogations particulières contenues dans le Motu proprio " Causas matrimoniales ", né de la nécessité d'"étendre ad experimentum à toute l'Eglise un certain nombre de facilités" - selon les termes de la Commission pontificale pour la révision du Code de droit canonique - en réponse à des requêtes présentées par divers épiscopats désireux d'obtenir, en matière de procédure dans les causes matrimoniales, certaines facilités en dérogation au droit en vigueur. Le document a été promulgué le 28 mars 1971 (AAS LXIII, 1971, p441 et ss.), comme vous le savez, et il est entré en vigueur le 1er octobre de la même année, suivi d'un document analogue pour les Eglises Orientales et contenant les mêmes normes.

Le Motu proprio " Causas matrimoniales " suit les lignes fondamentales du procès canonique traditionnel, introduisant les modifications suivantes dans la procédure :

a ) extension de la compétence des tribunaux ecclésiastiques locaux et possibilité du transfert de la cause, avant sa conclusion, d'un tribunal à un autre également compétent;

b) possibilité d'un juge unique dans des cas particuliers, mais seulement en première instance. En outre, possibilité que le collège soit composé de deux juges ecclésiastiques et d'un laïc;

c) modification en matière d'appel, accordant que la sentence affirmative en première instance puisse être confirmée par arrêt du tribunal d'appel, quand se présentent certaines conditions, sauf toutefois le droit d'appel au tribunal supérieur contre un semblable arrêt, lorsque la défense dispose de nouveaux et graves arguments; extension des cas qui peuvent être traités avec procédure sommaire.


Quels sont en réalité les effets du Motu proprio ? S'est-il révélé utile ? De quels inconvénients s'est-on plaint ?

Bien qu'on ne dispose pas encore de données officielles sur les résultats acquis grâce au Motu proprio lui-même, on a l'impression d'une satisfaction unanime des Conférences épiscopales et des tribunaux pour les facilités de procédure ainsi concédées. Cette impression a été confirmée par le consentement manifesté par les différents consulteurs qui viennent souvent de toutes les parties du monde et se rencontrent auprès de la Commission pontificale pour travailler au nouveau Code. En rédigeant le nouveau droit de procédure en matière matrimoniale, on aura soin de supprimer les points obscurs qui se rencontrent çà et là dans l'interprétation du Motu proprio "Causas matrimoniales". Il est vivement souhaitable qu'avec la promulgation du nouveau Code de procédure, disparaissent les inutiles diversités qui se constatent dans les différentes régions ecclésiastiques; souhaitable également que, pour la solution des causes matrimoniales, on suive toujours une procédure en conformité avec les différentes formes contenues dans la loi.

Tout ceci indique quels soins particuliers le Saint-Siège réserve à l'exercice du pouvoir judiciaire ecclésiastique et comment il tend, par les simplifications introduites dans l'examen des causes matrimoniales, à en rendre l'exercice plus aisé et, du même fait, plus pastoral, sans porter préjudice aux critères de vérité et de justice auxquels un procès doit honnêtement se tenir, dans la confiance que la responsabilité et la sagesse des pasteurs y seront plus directement et religieusement engagées.

Et ceci vous démontre également, membres distingués du célèbre et séculaire Tribunal de la Sacrée Rote romaine, l'intérêt, l'estime, la confiance avec lesquels Nous suivons votre œuvre si délicate, si difficile et si précieuse, et avec quelle reconnaissance, avec quels vœux Nous répondons aux vôtres, invoquant sur vous l'assistance divine au moyen de Notre Bénédiction apostolique.



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Consulté sur :

http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/pt/jli.htm


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