Discours du 4 février 1977 aux membres du Tribunal de la Rote romaine pour l’inauguration de l’année judiciaire
de Paul VI
Date de publication : 04/02/1977

Texte original

Texte Français

DISCOURS DU PAPE PAUL VI

À L'OCCASION DE L'INAUGURATION DE L'ANNÉE JUDICIAIRE

DU TRIBUNAL DE LA ROTE ROMAINE



4 février 1977



" LE ROLE DES STRUCTURES JURIDIQUES DANS LA VIE DE L'EGLISE "



Chers Fils,


Nous sommes heureux de l'occasion qui nous est donnée d'avoir un entretien avec vous, qui exercez dans l'Eglise une charge importante. Nous avons écouté avec plaisir les nobles paroles que vient de prononcer votre vénérable doyen.

Au moment où s'ouvre l'année judiciaire, nous voudrions, devant vous qui vous acquittez inlassablement de la fonction de juges qui vous est confiée, traiter d'un sujet qui vous intéresse particulièrement: comment rendre plus parfaite la protection de la justice. Cette question doit être considérée plus attentivement à la lumière nouvelle qu'a projetée sur elle le 2ème Concile du Vatican, et elle occupe une place importante dans le Code de droit canonique actuellement en cours de révision.


La révision du Code de droit canonique


Il convient également de faire remarquer que cette question est étroitement liée au temps où nous vivons. Personne n'ignore, en effet, qu'aujourd'hui les droits de l'homme prennent une extension toujours plus grande du fait que la dignité de l'homme est mise toujours davantage en évidence. Cette extension des droits exerce une incidence également sur le nouveau Code de droit canonique, dont le travail de révision ne peut se réduire à améliorer le précédent -mieux disposer les questions, en ajoutant ce qu'il semble opportun d'introduire et en supprimant ce qui n'est plus en vigueur -, mais doit fournir un instrument le mieux adapté possible à la vie de l'Eglise après le 2ème Concile du Vatican.

La révision du Code de droit canonique se propose d'appliquer à la vie juridique de l'Eglise ce qui a été proposé d'une façon générale par le Concile. Cela s'effectue au moyen de prescriptions et de lois par lesquelles l'ordre et la paix sont assurés dans l'ensemble de cette grande communion que constitue l'Eglise.


Le Concile et la vie juridique de la communion


Le Concile a voulu que toute la vie de cette communion soit organisée d'une façon efficace et pacifique dans la foi et la charité, de telle sorte qu'elle conduise finalement tous les pasteurs et les fidèles à la réconciliation, c'est- à-dire à la paix avec Dieu, à la paix entre les membres de la communion, à la paix avec tous les chrétiens et même avec tous les hommes de bonne volonté. Ce qui a été proposé par le Concile ne doit en effet pas être considéré comme quelque chose d'isolé, sans lien avec le reste. Il s'agit là de vraies lois qui non seulement instaurent la paix avec Dieu, ainsi que la paix du Christ entre les fidèles et avec les autres hommes, avec l'aide de Dieu, mais perfectionnent, protègent et maintiennent par tous les moyens qui conviennent l'ordre et la paix de la communion. C'est pourquoi la fin du Concile requiert une vie juridique, non pas accessoirement, mais on ne peut plus nécessairement. Nous dirons même que la vie juridique est l'un des moyens pastoraux dont l'Eglise se sert pour conduire les hommes au salut.


Ne pas séparer l'esprit et le droit


Cependant, il n'échappe à personne que ces lois qui organisent juridiquement et efficacement la vie de la communion ne sont pas leur propre fin en elles-mêmes mais des moyens permettant aux fidèles de recevoir d'une façon régulière et ordonnée les biens que Dieu a confiés à son Eglise, afin, comme nous l'avons dit, qu'ils connaissent avant tout la paix avec Dieu et la paix entre eux.

Si donc, nous voulons connaître dans la communion de l'Eglise cette paix qui est l'œuvre de la justice, il faut que la vie juridique de l'Eglise elle-même satisfasse à cette justice et qu'elle soit si élevée qu'elle puisse vraiment nous apporter la paix du Christ.

Il s'ensuit que le droit de l'Eglise est vraiment de nature spirituelle et qu'il doit être animé par l'Esprit du Christ, l'Esprit-Saint. C'est pourquoi le Concile a demandé que le droit de l'Eglise soit un instrument de sa vie spirituelle, en refusant de séparer l'Esprit et le droit, l'Eglise dite " pneumatique " de l'Eglise dite " institution ", car l'institution - et l'institution hiérarchique qui distingue différents degrés dans le Peuple de Dieu - fait partie du mystère même de l'Eglise.

Cette structure extérieure et juridique de l'Eglise non seulement ne fait pas obstacle à sa vie intérieure ou spirituelle ou au mystère même de l'Eglise, mais elle sert, favorise et protège la présence et le gouvernement de l'Esprit Saint.


Droits et obligations résultant du baptême


Il semble que l'on doive affirmer ceci: le Concile, comme guidé par une nouvelle impulsion, a voulu que le don de l'Esprit-Saint reçu au baptême (LG 14 LG 11) soit pour les fidèles une source de liberté spirituelle leur permettant de vivre en chrétiens d'une façon qui soit digne du Christ (Rm 8,21).

Mais les droits fondamentaux des baptisés ne sont efficaces et ne peuvent être exercés que si l'on reconnaît les obligations correspondantes résultants aussi du baptême, en étant en particulier, persuadé que ces droits doivent être exercés dans la communion de l'Eglise, et que même ils s'inscrivent dans l'édification du Corps du Christ qui est l'Eglise. C'est pourquoi leur exercice doit servir l'ordre et la paix, et on ne doit pas permettre qu'il leur nuise.

Dans la communion de l'Eglise, les biens spirituels sont toujours donnés par la célébration de la liturgie et l'administration des sacrements. C'est ainsi que la paix du Christ vient continuellement au secours de la faiblesse humaine. La communion de l'Eglise, comme nous l'avons déjà dit, est donc dotée d'une structure juridique et elle en a même absolument besoin. Mais cette structure juridique est tout à fait particulière parce qu'elle participe à la nature sacramentelle de l'Eglise.


La nature spirituelle du droit de l'Eglise


Le Concile a confirmé sa volonté d'exalter la nature spirituelle du droit de l'Eglise particulièrement en mettant clairement en lumière le fondement et la source sacramentelle du pouvoir hiérarchique. Par la consécration épiscopale est conféré le don de l'Esprit-Saint. La présence de celui-ci chez les évêques entretient et nourrit par eux toute la vie de la communion de l'Eglise. Dans l'ordination épiscopale sont conférées les charges pastorales de sanctifier, enseigner et gouverner par lesquelles les évêques, représentant le Christ pontife, maître et pasteur, deviennent les instruments de l'Esprit du Christ dans le ministère qu'ils exercent au sein de la communion de l'Eglise (LG 21).

Le magistère et le gouvernement dans la communion de l'Eglise comportent des droits et des devoirs dont la nature surnaturelle et spirituelle est différente de celle de tout pouvoir simplement humain. C'est pourquoi la vie de l'Eglise - qui s'exprime en grande partie par le sacerdoce hiérarchique pour tout ce qui est particulier et propre à l'Eglise - est spirituelle de par sa nature. Elle opère le salut des fidèles en apportant la paix du Christ qui ne peut être que l'œuvre de la justice, et plus précisément de la justice divine, revêtant ainsi une dignité très élevée.

Les pasteurs devront donc faire en sorte que leur activité, même juridique, soit pastorale, animée par l'Esprit, et ils devront avoir en vue la justice qui se propose pour fin de la paix du Christ. " N'éteignez pas l'Esprit " (1Th 5,19). En effet, " l'Esprit souffle où il veut " (Jn 3,8). L'Esprit- Saint a conféré ses dons aux pasteurs et aux fidèles pour qu'ils coopèrent à l'édification du Corps du Christ. Certes, tout doit être éprouvé (1Th 5,21) mais à condition d'avoir le cœur ouvert à toute authentique action de l'Esprit-Saint. " Celui qui a des oreilles, qu'il entende ce que l'Esprit dit aux Eglises. " (Ap 2,7).


Il n'y a pas de place pour l'objection de conscience


C'est pourquoi la protection de la justice figurera en bonne place dans le nouveau Code de droit canonique, pour qu'il manifeste cette fin du Concile en vertu de laquelle le travail juridique - qui, selon la volonté de Dieu, est non pas superflu dans l'Eglise, mais absolument nécessaire - doit être considéré comme un élément pastoral animé par la justice qui apporte finalement la paix du Christ, bien que parfois, à cause de la faiblesse humaine, qui n'est pas étrangère à l'Eglise, la loi doive être appliquée avec fermeté. Il faut en effet que dans l'Eglise " tout se fasse convenablement et avec ordre " (1Co 14,40). C'est pourquoi il n'y a pas de place pour l'" objection de conscience " qui dissout l'obéissance dans l'Eglise (1Co 14,37 1Co 4,21).


Le droit et la paix du Christ


La protection de la justice s'exprimera ensuite dans le nouveau Code du fait que celui-ci fera plus clairement apparaître le caractère spirituel du travail juridique, lequel découle en effet de la nature sacramentelle de l'Eglise et s'exerce dans la communion de l'Eglise. Et celle- ci, composée de nombreux membres, est unie dans l'Esprit- Saint qui est donné à tous ses membres au baptême, et aux membres de la hiérarchie également dans l'ordination sacramentelle, en vue de paître le Peuple de Dieu. C'est pourquoi le nouveau Code évitera le danger de cette funeste séparation entre l'Esprit et l'institution, entre la théologie et le droit, car le droit et l'autorité pastorale sont théologiquement conçus en vue d'apporter la paix du Christ qui est l'œuvre de la justice, non pas humaine, mais divine.


Les laïcs, coopérateurs de la hiérarchie


La protection de la justice sera en outre assurée dans le nouveau Code parce que, ainsi que le Concile l'a abondamment enseigné, la communion de l'Eglise est constituée à la fois par les fidèles et par les pasteurs, de telle sorte que les fidèles - revêtus du sacerdoce commun et collaborant avec les pasteurs, par leur expérience et leurs avis, en vue du bien de l'Eglise - ne soient pas considérés seulement comme des sujets, mais aussi comme des coopérateurs de la hiérarchie qui lui apportent obligeamment leur aide à tous ses degrés.


Le Code au service de la vie de la communion


Enfin, la protection de la justice trouvera sa place dans le nouveau Code parce que la vie juridique n'y apparaîtra pas comme quelque chose qui domine tous les aspects de la vie de l'Eglise, mais comme un élément très important qui est au service de la vie même de la communion tout en laissant à chaque fidèle la nécessaire liberté responsable, comme on dit, et qui concourt à l'édification du Corps du Christ, à moins que l'unité et la paix de l'ensemble de la communion de l'Eglise requièrent des limites plus étroites pour mieux assurer la connexion et le bien de toute la communion. Le nouveau Code est destiné à l'Eglise catholique qui est aujourd'hui répandue dans le monde entier. C'est pourquoi les différentes formes de civilisation existant dans les différentes parties du monde, avec le bien qu'elles contiennent, doivent être pleinement reconnues et admises, l'unité de la foi, ainsi que l'unité de la communion et de sa hiérarchie demeurant sauves dans les principes suprêmes des institutions fondamentales. Cette unité demeure toujours visible et vivante par le ministère et le gouvernement du pasteur suprême et elle apporte la paix du Christ qui est l'œuvre de la justice divine.


Les principes dont s'inspire la révision du Code de droit canonique


De ce que nous avons dit découlent les principes dont s'inspire la révision du Code de droit canonique. (Cf. " Communicationes - Commission pontificale pour la révision du Code de droit canonique, 1969, 2, p. 77-85; ibid., Rapport sur " les principes qui président à la révision du Code de droit canonique ", p. 86-91.) Selon ceux-ci - nous parlerons de ce qui a été étudié jusqu'à maintenant - dans les lois de ce Code doit briller l'esprit de charité, de mesure, d'humanité et de modération par lequel le nouveau Code doit se distinguer de tout droit humain. La fin qui est proposée à toute la législation, c'est d'aider la vie spirituelle des fidèles, laquelle doit être régie davantage par leur conscience ou leur responsabilité que par la force des préceptes.

" Que les lois canoniques n'imposent donc pas de devoirs là où les instructions, les exhortations, les recommandations et les autres moyens destinés à favoriser la communion entre les fidèles semblent suffisants pour permettre à l'Eglise de réaliser sa fin; que le Code ne promulgue pas facilement des lois qui annulent des actes ou destituent des personnes, à moins que leur objet soit très important et vraiment nécessaire au bien public et à la discipline de l'Eglise ( Ibid., p. 79 et s.).

De plus, ces principes semblent demander que soit laissé aux pasteurs et aux fidèles un juste pouvoir discrétionnaire, comme ce fut le cas dans la Constitution apostolique Paenitemini. (Ibid., p. 80). Il est clair que le pouvoir spirituel, conféré sacramentellement, ne peut pas s'exercer d'une façon arbitraire; les droits qui appartiennent à tout fidèle en vertu d'une loi naturelle ou divine positive doivent donc être reconnus et protégés. (Ibid. p. 82). " C'est pourquoi, dans le droit canonique, doit être proclamé le principe que la protection juridique doit être appliquée aussi bien aux supérieurs qu'à leurs subordonnés, de sorte que tout soupçon d'arbitraire soit totalement exclu de l'administration de l'Eglise. (Ibid., p. 83).

Cependant, " cette finalité ne peut être obtenue que par des recours sagement disposés par la loi, de telle sorte qu'un droit que l'on estime lésé par une instance inférieure puisse être rétabli efficacement par une instance supérieure. " (Ibid.)

Le nouveau Code admet également le recours pour les actes administratifs devant les tribunaux administratifs. Ici, la modération est présumée et requise pour que ce qui est destiné à la défense de la justice ne tourne pas à son détriment. En effet, la défense de la justice ne serait pas vraiment telle si elle entravait le bon exercice du gouvernement pastoral, lequel est tout à fait nécessaire pour le bon ordre et la paix de la communion. Il faut dire aussi que le jugement ou le procès doit être de soi public. Cependant la justice elle-même peut requérir le huis-clos. De même, d'une façon habituelle, tous les arguments défavorables au requérant doivent être exposés, mais là encore le bien de la paix peut conseiller le contraire. (Ibid., p. 85).

D'une façon assez générale, la réduction des peines au strict nécessaire n'est pas demandées sans raison, et de telle sorte que les peines soient habituellement " ferendae sententiae ". Mais, là encore, les réalités de la vie, ainsi que l'ordre et la paix de la communauté imposent des limites. (Ibid. p. 85).


Conclusion


Pour conclure, nous pouvons affirmer ceci: nous estimons que la protection de la justice doit être d'autant plus assurée qu'est davantage souligné le caractère spirituel de la vie de l'Eglise. Ce caractère veut en effet que même la vie juridique soit un moyen pastoral par lequel l'Eglise apporte et maintient constamment la paix. Cela requiert que, dans l'exercice du droit et du pouvoir, les pasteurs et les fidèles soient guidés par l'esprit de paix, qu'ils en soient comme imprégnés. Même la meilleure législation ne peut parvenir à sa fin que si les hommes auxquels elle s'adresse font leur cette fin. Si donc la paix du Christ est l'oeuvre de la justice, cette paix, qui est divine et qui, par conséquent, dépasse toute conception humaine, apporte constamment de nouvelles forces à tous les membres de la communion ecclésiale - nous l'espérons bien dans le Seigneur- de telle sorte qu'elle s'avère efficace pour tous les actes que les pasteurs et les fidèles posent dans la vie juridique de cette communion, en leur donnant une valeur pastorale telle qu'ils assurent pleinement la protection de la justice divine et humaine.

Voilà, chers fils, ce que nous voulions proposer à votre réflexion et qui montre bien la richesse spirituelle et doctrinale du 2ème Concile du Vatican. Tout cela, gardez-le présent à l'esprit dans l'exercice de votre charge, car il en résulte une nouvelle disposition d'esprit. Nous demandons ardemment au Christ notre Seigneur, le prince de la paix, qu'il vous aide de sa lumière afin que votre activité juridique contribue d'une façon heureuse au bien de la communion ecclésiale tout entière. En gage de quoi nous donnons à chacun de vous, avec affection, notre bénédiction apostolique.



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Consulté sur :

http://www.clerus.org/bibliaclerusonline/pt/jlj.htm


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